Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/272

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Tremblante de frayeur, elle se serra contre moi et bredouilla quelques paroles incohérentes dont je ne pus saisir le sens : elle avait le délire.

Je la conduisis à son lit ; elle continuait de se cramponner à moi, comme pour me demander de la défendre contre quelqu’un ; et lorsqu’elle fut enfin couchées elle saisit ma main et la retint serrée, craignant sans doute que je ne m’en allasse de nouveau. Moi aussi, j’étais malade ; mes nerfs étaient si ébranlés qu’en la voyant ainsi, je me mis à pleurer. À la vue de mes larmes, elle attacha sur moi son regard fixe, persistant, comme si elle avait cherché à comprendre, et l’on voyait que cela lui coûtait de grands efforts.

Enfin un rayon de pensée éclaira son visage : après ses attaques d’épilepsie, elle restait quelque temps sans recueillir ses idées et prononcer des paroles intelligibles. C’est ce qui arrivait en ce moment : après des efforts extraordinaires pour parler, voyant que je ne la comprenais pas, elle étendit sa petite main vers moi, commença par essuyer mes larmes, puis elle passa ses bras autour de mon cou, m’attira à elle et m’embrassa.

Il était évident qu’elle avait eu une attaque pendant mon absence, et cela juste au moment où elle se trouvait près de la porte. Lorsque l’accès avait cessé, elle était sans doute restée longtemps avant de revenir à elle, et alors la réalité, se mêlant aux visions du délire, lui avait certainement représenté quelque chose de terrible, d’effrayant. Elle avait eu vaguement conscience que je rentrerais, que je frapperais à la porte ; elle s’était couchée sur le plancher, sur le seuil même, attendant avec anxiété mon retour, et s’était levée au moment où j’allais frapper.

Mais pourquoi se trouvait-elle comme à dessein derrière la porte ? me demandais-je, lorsque je m’aperçus tout à coup qu’elle avait mis la petite pelisse que je lui avais achetée la veille : elle se disposait donc à sortir, et c’était sans doute au moment où elle allait ouvrir la porte qu’elle s’était trouvée mal. Où voulait-elle aller ? Était-ce déjà le délire ?

Cependant la fièvre persistait, et la malade ne reprenait pas connaissance. C’était le troisième accès depuis qu’elle é