Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/275

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Suivre mes prescriptions. Il lui faut une vie calme, et il est indispensable qu’elle prenne régulièrement ses poudres. J’ai remarqué que cette jeune personne a le caractère inégal.

— Vous avez raison, docteur ; c’est une singulière enfant ; cela provient de la maladie. Hier, elle a été très-obéissante, tandis qu’aujourd’hui, quand j’ai voulu lui donner sa médecine, elle a heurté la cuiller comme par mégarde et m’a fait répandre le contenu : puis lorsqu’elle a vu que j’en préparais une seconde, elle m’a arraché la botte des mains et l’a jetée violemment par terre, puis elle a fondu en larmes, mais je crois que ce n’est pas à cause de ses poudres qu’elle pleurait, ajoutai-je pensif.

— Il est bien naturel qu’elle ait de l’irritation, après toutes les souffrances qu’elle a endurées (je lui avais raconté l’histoire de Nelly, et mon récit l’avait vivement impressionné) ; c’est de là que provient sa maladie actuelle.

Nous passâmes de la cuisine, où avait eu lieu notre entretien, dans la chambre, et le docteur s’approcha du lit de la malade. Je crois qu’elle avait épié notre conversation, car, lorsque j’ouvris la porte, elle avait soulevé sa tête de dessus l’oreiller et semblait écouter encore.

Lorsque nous fûmes auprès d’elle, la petite friponne s’enfonça jusqu’aux yeux sous sa couverture et nous regarda avec un sourire malicieux. La pauvrette avait encore maigri pendant sa maladie ; ses yeux étaient enfoncés, et la chaleur persistait. Aussi l’expression espiègle qu’elle savait donner à son visage paraissait-elle encore plus étrange, et ses regards qui brillaient d’irritation étonnaient au plus haut degré mon vieux docteur, le plus excellent des Allemands de Pétersbourg.

Il commença d’un air très-sérieux et d’un ton tendre et caressant à lui expliquer la nécessité et l’effet salutaire de ses éternelles poudres, et conclut en disant que les prendre était un devoir. Pendant ce temps, il lui en préparait une dans une cuiller. Nelly avait levé la tête, et tout à coup, d’un brusque mouvement de la main, dû en apparence au hasard, elle accrocha la cuiller, et la médecine fut répandue