Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/283

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n’avez aucun chagrin, il faut vous efforcer de penser à quelque plaisir, à des choses gaies, amusantes.

— Comment dois-je m’y prendre, pour penser à quelque chose de gai et d’amusant ? demandait Nelly.

Le docteur était au bout de son latin,

— Mais… à quelque jeu innocent, qui convienne à votre âge, ou bien… à quelque chose de ce genre…

— Je ne veux pas jouer, je n’aime pas jouer, répondait Nelly. J’aime mieux les belles robes.

— Les belles robes ! Hem ! Ce n’est déjà plus aussi bien. Nous devons savoir nous contenter de notre modeste lot ici-bas. Mais, du reste… Mettons qu’on puisse aussi aimer les belles robes.

— Est-ce que vous m’achèterez beaucoup de belles robes, quand je serai votre femme ?

— Quelle idée ! dit le docteur, qui fronçait déjà involontairement le sourcil.

Nelly souriait d’un air fripon, et même elle s’oublia et me regarda en continuant de sourire.

— Certainement, je vous en achèterai, si vous le méritez par votre conduite, répondit le docteur.

— Et faudra-t-il prendre tous les jours des poudres ? demanda Nelly.

— Oh ! alors, peut-être que non, dit-il en souriant.

Nelly mit fin à l’entretien par un éclat de rire. Le vieillard, tout heureux de la voir si gaie, se mit à rire avec elle.

— Quel esprit enjoué ! dit-il en se tournant vers moi. Cependant il reste encore une humeur capricieuse et fantasque, et une certaine irritabilité.

Il ne se trompait pas. Je ne savais décidément ce qui lui était arrivé ; elle, ne voulait plus me parler ; on aurait dit que j’avais quelque tort envers elle, et j’en étais extrêmement peiné. Je pris même un jour un air renfrogné et ne lui dis pas un mot de toute la journée. J’en eus la honte le lendemain. Elle pleurait souvent, et je ne savais que faire pour la consoler.

Un jour, elle rompit son silence opiniâtre ; j’étais rentré à la tombée de la nuit, et je la vis cacher un livre sous son