Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/289

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Dis-moi pourquoi tu ne veux pas rester chez lui, Nelly ; est-ce qu’il est méchant envers toi ? avait-elle demandé.

— Non, il n’est pas méchant.

— Alors, pourquoi t’es-tu sauvée ?

— Je ne veux pas… je ne peux pas… demeurer chez lui… je suis toujours si méchante… et il est si bon… chez vous, je ne serai pas méchante, je travaillerai.

— Pourquoi es-tu si méchante avec lui, Nelly ?…

— Parce que…

— Et pas moyen de tirer d’elle autre chose que ce « parce que », dit Alexandra Séménovna en achevant son récit et en s’essuyant les yeux. Pourquoi est-elle si malheureuse ? C’est peut-être la maladie : qu’en dites-vous, Ivan Pétrovitch ?

Nous rentrâmes dans la chambre. Nelly était couchée et pleurait, le visage enfoncé dans son oreiller. Je m’agenouillai près d’elle, je pris ses mains dans les miennes, je les couvris de baisers, mais elle les retira et sanglota encore plus fort. Je ne savais que dire. En ce moment, le vieux Ikhméniew entra.

— Je suis venu pour affaires. Bonjour, Vania ! dit-il, tout étonné de me voir à genoux. Il était malade ; il était pâle et maigri ; mais il faisait le brave, traitait sa maladie de bagatelle, et continuait de sortir, malgré les exhortations et les supplications de sa femme.

— Adieu, en attendant, dit Alexandra Séménovna, en regardant fixement le vieillard. Philippe Philippitch m’a dit de revenir aussi vite que possible. J’ai à faire à la maison. Je reviendrai ce soir pour une heure ou deux.

— Qui est-ce ? me demanda le vieux à demi-voix, tout en pensant à autre chose. Je le lui dis.

— Hem ! je suis venu te parler.

Je savais bien pourquoi il venait, j’attendais sa visite. Il venait nous parler, à Nelly et à moi, pour me décider à la laisser aller demeurer chez eux. Anna Andréievna avait enfin consenti à se charger de l’orpheline ; c’était le résultat de quelques entretiens que j’avais eus secrètement avec elle : j’étais parvenu à vaincre sa résistance en lui disant que la vue de cette orpheline, dont la mère avait, elle aussi, été