Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/295

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la pris par la main et la ramenai à la maison. Ce n’était pas bien loin, et nous n’échangeâmes pas une parole pendant le chemin. Arrivé chez moi, je m’assis. Nelly resta debout devant moi, pensive et troublée, pâle comme auparavant et la tête baissée. Elle n’osait pas lever les yeux sur moi.

— Nelly, tu es allée demander l’aumône, lui dis-je.

— Oui, répondit-elle d’une voix faible, et elle baissa les yeux encore davantage.

— Tu voulais avoir de l’argent afin d’acheter une tasse pour remplacer celle que tu as cassée ce matin, n’est-ce pas ?

— Oui…

— T’avais-je adressé un mot de reproche ? t’avais-je grondée ? Est-ce que tu ne vois pas, Nelly, combien de méchanceté, — de méchanceté à laquelle tu prends plaisir, il y a dans ta conduite ? Crois-tu que tu agis bien ? N’en as-tu pas honte ? Est-ce que…

— J’ai honte… dit-elle d’une voix si faible que je l’entendis à peine, et de grosses larmes coulèrent le long de ses joues.

— Tu as honte… répétai-je après elle. Nelly, chère Nelly, si je t’ai fait de la peine, si j’ai quelque tort envers toi, pardonne-moi, et faisons la paix.

Elle me regarda et se jeta dans mes bras en fondant en larmes. Alexandra Séménovna entra en ce moment.

— Comment ! s’écria-t-elle, elle est de retour ? Ah ! Nelly, Nelly, que t’est-il arrivé ? C’est bien heureux, au moins, qu’elle soit retrouvée ! Où était-elle, Ivan Pétrovitch ?

Je lui fis comprendre qu’elle devait remettre ses questions à plus tard, je la priai de lui tenir compagnie jusqu’à mon retour ; puis, après avoir tendrement pris congé de Nelly qui continuait de pleurer, je me rendis en toute hâte chez Natacha ; j’étais en retard.

Nous avions beaucoup de choses à nous dire, Natacha et moi ; cependant je ne pus m’empêcher de lui parler de Nelly et de lui raconter l’événement de la journée. Mon récit l’intéressa et la surprit beaucoup.

— Veux-tu savoir ma pensée ? me dit-elle après avoir réfléchi un instant. Je crois qu’elle t’aime.

—