qu’un instant ; une seule fois il avait passé quelques heures avec elle. Il était triste, la regardait avec tendresse et timidité ; mais Natacha était si douce, si affable, qu’il ne tardait pas à devenir joyeux. Il venait aussi me voir presque tous les jours. Il était sincèrement affligé, ne pouvait rester un instant seul avec sa tristesse et venait chercher du soulagement auprès de moi.
Qu’aurais-je pu lui dire ? Il m’accusait de froideur, d’indifférence, d’animosité même ; il se chagrinait, versait des larmes et s’en allait chez Katia, où enfin il se consolait.
Le jour où Natacha m’annonça qu’elle était instruite du départ (c’était une huitaine de jours après mon entretien avec le prince), il arriva chez moi tout désespéré, se jeta à mon cou, laissa tomber sa tête sur ma poitrine et se mit à sangloter. Je gardais le silence, attendant ce qu’il allait me dire.
— Je suis un homme vil, infâme, Vania, s’écria-t-il, sauve-moi de moi-même. Je ne pleure pas parce que je suis vil et infâme, mais parce que je suis cause que Natacha sera malheureuse, car je la voue au malheur… Vania, mon ami, décide à ma place, dis-moi celle que j’aime le plus de Katia ou de Natacha.
— Tu dois le savoir mieux que moi, lui répondis-je.
— Non, Vania, je ne le sais pas. Je m’interroge et ne puis répondre. Mais toi, qui es impartial, tu peux mieux juger que moi. Dis-moi ce que tu penses.
— Il me semble que c’est Katia que tu aimes davantage.
— Vraiment ! Eh bien ! non, non ! assurément non ! Tu te trompes : j’aime Natacha d’un amour sans bornes ; jamais, pour rien au monde je ne pourrai la quitter. Je l’ai dit à Katia, elle est de mon avis. Tu ne dis rien, tu souris. Ah ! Vania, je n’ai jamais trouvé en toi de consolation dans ces moments où je suis, comme à présent, accablé par le chagrin…
Là-dessus il sortit ou plutôt s’enfuit. Notre conversation avait vivement impressionné Nelly, qui était encore malade et gardait le lit. Pendant ses visites,