Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/303

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vieux parents. Il la menaçait des plus sévères châtiments et de sa malédiction pour son orgueil, et finissait par exiger d’elle qu’elle rentrât immédiatement et en toute humilité dans la maison paternelle ; alors, mais alors seulement, il se pourrait que ses parents, quand ils lui auraient vu mener une nouvelle vie, une vie de soumission, une vie exemplaire au sein de sa famille, lui accorderaient leur pardon.

La bonne vieille se tenait devant moi les mains jointes et attendait avec angoisse mon avis sur ce que je lisais.

Je lui dis franchement ma façon de penser : le vieillard ne se sentait plus la force de vivre sans sa fille, et leur prochaine réconciliation pouvait être considérée comme une nécessité ; cependant tout dépendait des circonstances. L’issue défavorable du procès avait été sans doute une rude secousse et avait vivement affecté le vieillard blessé dans son amour-propre par le triomphe du prince et indigné de la solution si malheureuse de cette affaire. Dans de semblables moments l’âme est obligée de chercher une autre âme qui compatisse avec elle ; c’était sans doute alors qu’il s’était souvenu plus vivement que jamais de celle qu’il avait toujours aimée par-dessus tout. Enfin (puisqu’il était au courant de tout ce qui concernait Natacha), il avait peut-être appris qu’Aliocha était sur le point de l’abandonner, il avait compris l’horreur de la situation et senti combien elle avait besoin de consolation. Et pourtant il n’avait pas eu la force de se vaincre, parce qu’il se regardait comme humilié et offensé par sa fille ! Il s’était sans doute dit alors qu’elle ne viendrait néanmoins pas à lui la première, qu’elle ne pensait peut-être même plus aux siens et ne ressentait aucun besoin de réconciliation. C’est ainsi qu’il a dû penser, dis-je à la pauvre femme en finissant de lui exposer ma manière de voir, et c’est pourquoi il n’a pas achevé sa lettre ; tout cela peut être la source de nouvelles offenses plus sensibles encore que les précédentes, et Dieu sait si la réconciliation ne sera pas différée pour longtemps.

La bonne vieille pleurait en m’écoutant. Lorsque je lui dis que j’étais obligé d’aller chez Natacha et que j’étais en retard, elle sortit de son abattement et me dit qu’elle avait