Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/356

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

alors tout à fait malade et ne comprenait rien. Aujourd’hui, quand il m’a répété la même chose, j’ai pensé : J’irai sur le pont, je demanderai la charité, puis je lui achèterai du pain et du tabac. Alors il m’a semblé que j’étais sur le pont, que je mendiais : je le vois qui vient, il s’arrête un instant, puis il s’approche, regarde ce que j’ai reçu et le prend. Voilà pour du pain, dit-il ; maintenant il faut encore pour du tabac. Je recommence, et il vient de nouveau prendre ce que j’ai reçu. J’ai beau lui dire que je lui donnerai tout sans rien garder pour moi : « Non, dit-il, tu me voles ; la Boubnow m’a dit que tu étais une voleuse, c’est pourquoi je ne te prendrai jamais chez moi. Tu dois avoir encore une pièce de cinq kopecks ; où est-elle ? » Je me suis mise à pleurer, mais lui ne m’écoutait pas et continuait à crier : « Tu m’as volé cinq kopecks ! » et il s’est mis à me battre. Il m’a fait bien mal, et j’ai beaucoup pleuré… Voilà, Vania, pourquoi je pense qu’il est vivant, qu’il s’en va tout seul et qu’il m’attend…

Je m’efforçai de nouveau de la raisonner et de la rassurer, et il me sembla, à la fin, que j’y étais parvenu. Elle me dit qu’elle craignait de s’endormir, parce qu’elle était sûre de voir son grand-père. Enfin elle passa ses bras autour de mon cou et m’embrassa.

— Et pourtant, je ne puis pas te quitter, Vania, reprit- elle en pressant son petit visage contre le mien, et si ce n’était grand-papa, je resterais toujours avec toi.

Toute la maison avait été effrayée de la crise qu’elle avait eue. Je racontai tout bas au docteur les rêves qui assiégeaient la pauvre petite, et lui demandai ce qu’en définitive il pensait de la maladie.

— Je ne puis encore rien dire de positif, me répondit-il ; je cherche, je réfléchis, j’observe… mais il n’y a encore rien de certain… Il n’y a pas de guérison à espérer. Elle ne vivra pas. Je ne le leur dis pas, à eux, parce que vous m’en avez prié, mais je proposerai demain une consultation. La maladie peut encore prendre une autre tournure. Elle me fait autant de peine que si c’était ma fille… cette chère, délicieuse enfant !