Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/365

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que par elle je parviendrai à démêler tout le reste. Elle sait tout… Sa mère lui a tout raconté ; elle a pu le faire dans la fièvre, dans ses angoisses, alors qu’elle n’avait à qui se plaindre. Peut-être trouverons-nous quelque document ; tu comprends, maintenant, pourquoi je rôde par là. C’est d’abord à cause de l’amitié que j’ai pour toi, mais surtout pour observer Nelly, et, bon gré, mal gré, il faut que tu m’aides, car tu as beaucoup d’influence sur elle !…

— Certes, je suis prêt à le faire, et j’espère que tu mettras tout en œuvre pour le bien de cette orpheline si injustement traitée, et que tu ne te laisseras pas diriger uniquement par ton intérêt personnel…

— Qu’est-ce que cela peut te faire à toi, âme bienheureuse, dans les intérêts de qui je vais me mettre en quatre ; l’important, c’est de réussir. Il est clair que les intérêts de l’orpheline passent avant tout, la philanthropie le veut ainsi. Mais ne me condamne pas si en même temps je tâche de tirer mon épingle du jeu ; je suis un pauvre diable ! qu’il laisse les pauvres diables en paix ! Voilà un gaillard qui me frustre de ce qui m’est dû, qui me dupe, et à ton avis, je devrais avoir des égards pour un pareil gredin ? « Demain matin ! » comme disent les Allemands.

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Notre « fête des fleurs » du lendemain ne réussit pas. Nelly allait plus mal ; il fut impossible de la transporter hors de sa chambre. Hélas ! elle ne devait plus en sortir !

Elle mourut quinze jours après, et pendant ces quinze jours d’agonie elle ne revint plus une seule fois entièrement à elle, et les étranges visions que son esprit s’était forgées ne la quittèrent plus. Sa raison était déjà en partie obscurcie, et jusqu’à son dernier soupir elle resta persuadée que son grand père l’appelait, et que, fâché de ce qu’elle ne se rendait pas à cet appel, il frappait de sa canne les dalles du trottoir et lui ordonnait d’aller mendier de quoi lui acheter du pain et du tabac ; souvent elle pleurait pendant son sommeil, et à son réveil elle racontait qu’elle avait vu sa mère.

Ce n’est qu’à de rares intervalles que la raison lui revenait. Un jour que j’étais resté seul auprès d’elle, ses petites