Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/44

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tu n’as pas voulu m’écouter ! Cher Vania, de temps immémorial la muse a été reléguée au galetas, crevant de faim, et l’on voit qu’elle continue d’y être.

Il n’était pas de bonne humeur, le vieux.

Il fallait qu’il fût blessé au cœur, pour me parler ainsi. Je me mis à le considérer. Son visage était jaune, ses yeux exprimaient la perplexité ; on y lisait une pensée, une question qu’il n’avait pas la force de résoudre. Il était violent et bilieux plus que de coutume. Sa femme le regardait avec inquiétude et en branlant la tête ; elle profita d’un moment où il se tourna pour me faire un signe à la dérobée.

— Comment se porte Nathalia ? demandai-je. N’est-elle pas à la maison ?

— Si, elle est à la maison, dit la mère, que ma question parut embarrasser. Elle va venir et pourra se donner le plaisir de vous regarder. Croyez-vous que ce soit une plaisanterie ! voilà trois semaines que vous ne vous êtes vus ! Elle aussi est changée... c’est à n’y rien comprendre ; on ne sait ce qu’elle a, si elle est en bonne santé ou malade. Dieu lui vienne en aide, ajouta-t-elle en jetant sur son mari un regard craintif.

— Mais, non ! ce n’est rien, répliqua celui-ci d’une voix contrainte et saccadée, elle n’est pas malade. C’est de son âge, voilà tout. Qui peut comprendre quelque chose à ces chagrins, à ces caprices de jeune fille ?

— Bien ! voilà que tu parles déjà de caprices, répliqua la mère.

Le vieillard se tut et se mit à tambouriner sur la table. Y aurait-il déjà eu quelque chose entre eux ? me dis-je tout pensif.

— Et chez vous, quoi de neuf ? reprit Ikhméniew un instant après. B... s’occupe-t-il toujours de critique ?

— Oui, il continue d’écrire, répondis-je.

— Ah ! Vania, dit-il comme conclusion en agitant ses bras, à quoi sert toute cette critique ?

La porte s’ouvrit, et Natacha parut.