Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/98

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simplement, et d’un ton si sérieux que j’en fus effrayé, il m’annonçait que mon mariage était une affaire arrangée, que ma fiancée était charmante, que, tout indigne d’elle que j’étais, je devais l’épouser, et que, pour m’y préparer, la première chose que j’avais à faire, c’était d’oublier toutes les folies dont j’avais la tête farcie, etc., etc… Ce qu’il entend par folies, c’est connu. Eh bien ! cette lettre, je vous en ai fait mystère.

— Pas le moins du monde, interrompit Natacha ; tu nous as tout raconté, dès le premier jour. Je te vois encore, tournant autour de moi, tendre et caressant comme si tu avais quelque chose à te faire pardonner ; et morceau par morceau tu nous as dit tout le contenu de cette lettre.

— Ce n’est pas possible ; je ne vous ai du moins pas dit ce qu’elle contenait de plus important. Peut-être avez-vous deviné quelque chose à vous deux, cela vous regarde : quant à moi, je ne vous ai rien raconté. Je vous ai tout caché, et je souffrais horriblement.

— Mais enfin admettons que je vous ai effectivement tout raconté à cette époque, par fragments (ça me revient à présent). Mais le ton, le ton de la lettre, vous n’en avez rien su, et c’était justement là le principal. Voilà ce que je voulais dire.

— Eh bien ! comment était-il, ce ton ? demanda Natacha.

— Écoute, Natacha, tu as l’air de plaisanter. Ne plaisante pas. Je t’assure qu’il s’agit de choses tout à fait sérieuses. Les bras m’en tombaient ! jamais mon père ne m’avait parlé de la sorte !

— Voyons, raconte un peu. Pourquoi m’as-tu fait mystère de cette lettre ?

— Mais, mon Dieu ! pour ne pas t’effrayer, je pensais pouvoir tout arranger. Donc, après la réception de cette lettre, et aussitôt après l’arrivée de mon père, mes tourments commencèrent. Je m’étais préparé à lui répondre d’une manière claire, sérieuse et ferme ; mais l’occasion ne se présentait pas. Quant à lui, il ne me faisait plus la moindre question, le rusé ! Il avait l’air de croire que l’affaire était arrangée et qu’il ne pouvait y avoir entre nous aucune