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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

relations continuelles, multipliant les pourparlers clandestins, les entrevues mystérieuses et peut-être s’attardant à de vagues marchandages dont l’objet n’avait rien de militaire.

Voilà l’essence de l’accusation. Il est probable que, devant le Conseil, bien des choses vont s’éclaircir ; mais combien d’autres resteront dans l’ombre jusqu’au jour où l’Histoire fera la lumière. En dernier lieu le maréchal est accusé de trahison… Envers qui ? Prenons bien garde à cette question, elle est d’un intérêt capital, si l’on veut bien songer à l’état singulier dans lequel vit la France d’aujourd’hui.

À la fin du règne de Napoléon III, le maréchal Bazaine était cité comme l’un des chefs les plus habiles de l’armée impériale. Quand, voici environ un an et demi, on commença à parler de l’éventuelle comparution de l’homme de Metz devant un conseil de guerre, l’un de ses confrères, un maréchal dont nous regrettons d’avoir oublié le nom (ne le surnommait-on pas le « brave soldat » ?) s’écria : « Quel dommage ! C’était pourtant le moins incapable de nous tous ! »

Or cet homme, « le moins incapable », avait reçu le commandement d’un corps d’armée extrêmement important. Mais tout allait de travers au moment de cette guerre entreprise avec tant de légèreté. Il n’y avait pas de vrai commandement en chef. Sans aucune aptitude militaire, l’empereur s’effaçait le plus souvent, mais il lui arrivait parfois de donner des ordres qui, naturellement, entravaient la marche de toute action sérieuse. Mais tout le mal n’était pas là. Tous ces vieux guerriers, Canrobet, Niel, Bourbaki, Frossart, Ladmirault, etc. convoqués devant le conseil, s’expriment sur le compte de Bazaine avec une déférence extrême. Leurs dépositions intéressent vivement le public. Ils appuient tous sur la bravoure extraordinaire du maréchal, citant, par exemple, cette bataille de Saint-Privat où Bazaine, bien qu’il eut à diriger tous les mouvements de la journée, se distinguait au premier rang des combattants. « Toutefois, peut-être, n’a-t-il pas compris toute l’importance de cette bataille », ajoutent quelques-uns des illustres témoins. L’a-t-il comprise ou non ? Toujours est-