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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/141

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

toire, le comité Changarnier se décidait à saisir l’Assemblée d’un projet de loi prorogeant pour dix ans les pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon et assurant encore à ladite Assemblée deux ans et demi de vie.

Le maréchal de Mac-Mahon a bien mérité des Droitiers : il a justifié leur foi aveugle en lui. N’a-t-il pas fait savoir, voici bientôt deux semaines de cela, qu’en cas de malheur, il suivrait les membres de la majorité actuelle de l’Assemblée dans leur retraite ? Ce « brave soldat » se révèle donc, à son tour, homme de parti. Et le comte de Chambord l’a surnommé le nouveau Bayard. Oui, un Bayard à rebours !

Tout est arrivé comme semblait l’avoir calculé le comité Changarnier. Le 5 novembre, après de longues vacances, les séances de l’Assemblée Nationale ont enfin repris. On a lu le message du Président de la République. Entre autres choses on y peut relever que le pouvoir exécutif, trop comprimé, ne jouit pas d’une vitalité suffisante. Le gouvernement, y est-il dit, n’est pas assez armé pour résister aux entreprises des partis. (Mais le gouvernement, lui-même, n’est-il pas inféodé à un parti ?) On y incrimine la mauvaise influence de la presse, qui corrompt « l’esprit des populations ». (Et Dieu sait si l’on a persécuté cette malheureuse presse !…)

Ensuite l’Assemblée Nationale a été saisie du projet du général Changarnier accordant au maréchal de Mac-Mahon une prorogation de pouvoir de dix ans. Le gouvernement a demandé la discussion immédiate du projet Dufaure, sans s’opposer à l’urgence, a demandé qu’on le renvoyât devant la commission d’examen des projets constitutionnels. Le gouvernement, de son côté, a insisté pour que la proposition Changarnier fût remise à une commission spéciale. La demande de M. Dufaure a été rejetée par 362 voix contre 348.

Ainsi la majorité royaliste a obtenu une majorité de 14 voix. Il en résulte que la France demeurera encore dix ans dans une position absolument fausse. Ni monarchie, ni république ! Avec le système d’écrasement de la presse et les violences de la majorité oligarchique, on peut être certain que les prochaines élections ramèneront

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