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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


Le soir même, je rencontrai encore le Polonais M…cki. Infortuné M…cki ! Il n’est pas, évidemment, riche comme moi de souvenirs où des gens comme Mareï jouent un rôle. Il ne peut juger ces tristes moujiks du bagne autrement qu’il ne l’a fait quand il a dit : « Je hais ces brigands ! » Ces pauvres Polonais ont, sans doute, souffert bien plus que nous !


II


Sur les avocats en général. – Mes impressions de naïf et d’ignorant. – Sur les talents en général et en particulier.


Je désirerais dire quelques mots sur les avocats, mais à peine ai-je pris la plume, que je rougis déjà de la naïveté de mes questions et propositions.

Il serait, peut-être, enfantin de ma part de m’extasier longuement sur l’institution utile et agréable qu’est celle des avocats. Un homme a commis un crime ; il ne connaît pas les lois ; il est sur le point d’avouer ; mais paraît l’avocat, qui lui démontre non seulement qu’il a eu raison, mais encore qu’il est un saint. Il cite quelques lois, explique tel arrêt de telle cour de cassation, tel senatus-consulte, qui donnent à l’affaire un aspect absolument nouveau, et finit par tirer son homme de prison. C’est délicieux ! On pourrait peut-être laisser entendre que c’est immoral ; mais enfin, vous avez devant vous un innocent qu’un trop habile réquisitoire du procureur général va envoyer à la mort pour un forfait perpétré par un autre. L’accusé n’est pas très clair dans ses réponses ; il se borne à grommeler : « Je ne sais rien ; je n’ai rien fait ! » ce qui, à la longue, irrite juges et jurés. Mais voici qu’entre en scène le digne avocat qui a perdu ses cheveux en s’exténuant sur des textes légaux,