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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

et la cause en est très simple : elles seront épuisées par la lutte qu’elles auront à soutenir contre leurs prolétaires. En Russie, il n’en sera pas de même. Le bonhomme Démos est content ; il sera de plus en plus satisfait, de plus en plus uni. Un seul colosse demeurera sur le continent européen : la Russie. Et cela peut arriver bien plus tôt qu’on ne croit. L’avenir, en Europe, appartient à la Russie. Mais une question surgit : Que fera alors la Russie en Europe ? Quel rôle y jouera-t-elle ? Est-elle prête à ce rôle ?


II


un homme paradoxal


Puisque nous parlons de la guerre, il faut que je vous entretienne de quelques opinions de l’un de mes amis qui est un homme à paradoxes. Il est des moins connus, son caractère est étrange : c’est un rêveur. Plus tard j’entrerai dans plus de détail à son sujet. Quant à présent, je ne veux me rappeler qu’une conversation que j’eus avec lui, il y a déjà quelques années : il défendait la guerre, en général, peut-être uniquement par amour du paradoxe. Notez que c’est un parfait « pékin », l’homme du monde le plus pacifique, le plus indifférent aux haines internationales ou simplement interpétersbourgeoises.

— C’est s’exprimer en sauvage, dit-il entre autres choses, qu’affirmer que la guerre est un fléau pour l’humanité. Tout au contraire, c’est ce qui peut lui être le plus utile. Il n’y a qu’une sorte de guerre vraiment déplorable, c’est la guerre civile. Elle décompose l’État, dure toujours trop longtemps et abrutit le peuple pour des siècles entiers. Mais la guerre internationale est excellente sous tous les rapports. Elle est indispensable.

— Que voyez-vous d’indispensable dans ce fait, que deux peuples se jettent l’un sur l’autre pour s’entre-tuer ?

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