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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/242

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

que naguère. Est-ce la question d’Orient qui nous vaudra cela, ou quelque autre question imprévue ? Qui le sait ? Voilà pourquoi tout genre de conjectures ou même de paradoxes peut devenir intéressant aujourd’hui, parce que nous en saurons peut-être tirer une indication. N’est-il pas curieux que ce soient ces Russes, fiers d’être, chez nous, surnommés des « Occidentaux », enragés de plaisanter durement les Slavophiles, — qui semblent s’allier plus vite que les autres aux adversaires de la société actuelle, à ses démolisseurs, à l’« Extrême gauche » ? N’est-il pas surtout étonnant que cela ne surprenne personne en Russie et qu’il n’en ait même jamais été question ?

Ma réponse est prête. Je ne veux rien prouver ; j’exposerai simplement mon opinion en ne développant que le fait seul. Il est impossible de rien prouver dans ces choses-là.

Voici ce que je pense. Ne voyez-vous pas dans ce fait que les « Occidentaux » russes adhèrent plus volontiers aux programmes de l’extrême gauche, une protestation de l’âme russe anti-européenne à laquelle la culture étrangère a toujours été antipathique depuis les jours de Pierre le Grand ? Telle est, du moins, ma façon de voir. Certainement cette antipathie n’a été qu’instinctive ; mais ce qui est précieux à constater, c’est que le sentiment russe demeurait vivace ; c’était inconsciemment que l’âme russe protestait, mais elle n’en réagissait pas moins. Bien entendu, on nous signifiera qu’il n’y a pas là de quoi se réjouir et l’on affirmera de plus en plus que les protestataires sont des Huns, des barbares, des Tartares qui ne regimbent au nom d’aucun principe élevé, mais tout bêtement parce qu’en deux siècles ils n’ont jamais su se rendre compte de la hauteur d’esprit européenne.

Je veux bien accepter ce qui précède tout en rejetant de toutes mes forces l’épithète de « tartares » appliquée à mes compatriotes. Il n’y a pas un Russe qui essaye de lutter contre l’œuvre de Pierre-le-Grand, qui blâme la « fenêtre ouverte sur l’Europe » et rêve avec regret à l’ancien Tzarat moscovite. Du reste la question n’est pas là. Il s’agit de savoir si tout ce que nous avons vu par la fameuse « fenêtre » était bon. Je crois que nous avons aperçu tant