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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

En un mot elle fut inébranlable. Si je l’avais vue seulement attristée, je lui aurais refusé tout approbation.

— Eh bien ! lui dis-je à la fin, que Dieu vous conduise. Mais promettez, quand tout sera fini, de revenir au plus vite !

— Oh ! naturellement ! Et mon examen ? On ne le passera pas pour moi !

Elle est partie là-dessus, avec un visage rayonnant et dans une semaine elle sera là-bas !

Dans l’article sur « George Sand » j’ai écrit déjà quelques mots sur ces caractères de jeunes filles qui me passionnaient si fort dans les romans du grand écrivain. Eh bien ! je retrouve en celle dont je viens de parler la même nature droite, honnête, inexpérimentée certes, mais armée de cette fière chasteté que rien ne peut salir, pas même le contact avec le vice. Il y a, chez elle, un vrai besoin de sacrifice et la conviction que le devoir de chacun de nous est de réaliser tout de suite un peu de ce bien que l’on attend de tous les hommes. Il est vrai que cette conviction n’existe, en général, malheureusement, que dans des âmes juvéniles très innocentes. L’essentiel est, comme je le répète, que l’on ne trouverait en elle ni présomption ni fierté du sacrifice accompli, mais uniquement la passion de bien faire.

Après son départ, je songeai involontairement que nous avons le devoir d’insister pour que la femme n’ait plus rien à désirer au point de vue de l’instruction supérieure, car la femme aujourd’hui réclame et mérite sa part dans l’œuvre commune. Je pense que les pères et les mères devraient faire l’impossible pour obtenir ce résultat, s’ils aimaient vraiment leurs enfants. Seule, en effet, la science supérieure a, en elle, assez de charme et de force pour apaiser l’inquiétude qui se révèle maintenant chez nos femmes. La science peut seule répondre aux questions qui les troublent, raffermir leurs esprits, prendre la direction de leur imagination un peu vagabonde.

Quant à arrêter cette jeune fille, non seulement je ne l’ai pas pu, mais j’ai songé qu’elle tirerait peut-être un profit de son voyage. Ce n’est pas au monde livresque qu’elle va avoir affaire ; c’est la vie vraie qui l’attend,