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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/319

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

l’ouverture de ma caisse de prêts, tous les matins j’allumais, dans cette niche, une petite lampe)… et je vais vous donner 10 roubles.

— Oh ! Je n’ai pas besoin de 10 roubles. Donnez-m’en cinq. Je vous rachèterai bientôt l’image.

— Et vous n’en voulez pas dix ? L’image les vaut, dis-je en observant que ses yeux jetaient des éclairs. Elle ne répondit pas. Je lui remis 5 roubles.

— Il ne faut mépriser personne, dis-je. Si vous me voyez faire un pareil métier, c’est que je me suis trouvé aussi dans des circonstances bien critiques ! J’ai bien souffert avant de m’y décider…

— Et vous vous venger sur la société, interrompit elle. Elle avait un sourire amer, assez innocent, du reste.

— Ah ! ah ! pensai-je, tu me révèles ton caractère et tu as de la littérature.

— Voyez-vous, dis-je tout haut, moi, je suis une partie de cette partie du tout qui veut faire du mal et produit du bien.

Elle me regarda curieusement et avec quelque naïveté :

— Attendez ! Je connais cette phrase. Je l’ai lue quelque part.

— Ne vous creusez pas la tête. C’est une de celles que prononce Méphistophélès quand il se présente à Faust. Avez-vous lu Faust ?

— Distraitement.

— C’est-à-dire que vous ne l’avez pas lu du tout. Il faut le lire. Vous souriez ? Ne me croyez pas assez sot, malgré mon métier de prêteur sur gages, pour jouer devant vous les Méphistophélès. Prêteur sur gages je suis, prêteur sur gages je reste.

— Mais je ne voulais rien vous dire de pareil !… Elle avait été sur le point de laisser échapper qu’elle ne s’attendait pas à pareille érudition de ma part. Mais elle s’était retenue.

— Voyez-vous, lui dis-je, trouvant un joint pour produire mon effet, dans n’importe quelle carrière on peut faire du bien.

— Certainement, répondit-elle, tout champ peut produire une moisson.