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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

témoigner. Est-il donc impossible de l’acquitter, de courir le risque de l’acquitter ?

II


LA MORALE TARDIVE


Le numéro d’octobre de mon Carnet m’a valu quelques soucis. Il contenait un petit article, une espèce de confession d’un suicidé. Quelques amis, de ceux dont je respecte le plus l’opinion, m’ont loué de cet article, mais ont paru partager mes doutes à son sujet. Ils m’ont dit que j’avais, en effet, bien trouvé les arguments que pouvait employer pour sa justification un homme qui va se tuer. Mais ils ont éprouvé une sorte de malaise. Le but de cet article serait-il compréhensible pour tous ? Ces lignes ne pouvaient-elles pas produire une tout autre impression que celle qu’elles voulaient faire naître ? Quelques individus qui ont déjà souffert du désir du suicide ne s’affermiraient-ils pas, après les avoir lues, dans leurs déplorables projets ? En un mot on m’a exprimé les doutes mêmes que j’avais senti surgir en moi après avoir écrit cette pseudo-confession ? Pour conclure, on me conseilla d’expliquer mon article et de compléter mes commentaires par la morale qu’il convenait d’en tirer.

J’y consentis très facilement. Mais je dois dire qu’au moment même où j’écrivais l’article, son but m’avait paru si clair que j’avais eu honte d’y ajouter une morale.

Un écrivain a fait une remarque très juste. Autrefois on avait honte, dit-il, de paraître ne pas comprendre certaines choses. On semblait, croyait-on, convenir ainsi de son manque d’intelligence. Aujourd’hui, au contraire, la petite phrase : « Je ne comprends pas » est à l’ordre