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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/371

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN
JANVIER


UN RÊVE DE CONCILIATION EN DEHORS DE LA SCIENCE


Je vais commencer par émettre un principe qui peut donner naissance à de nombreuses controverses : « Chaque grand peuple croit et doit croire, s’il veut seulement vivre, que c’est en lui que se trouve le salut de l’humanité, qu’il n’existe que pour demeurer à la tête des nations, les unir dans le respect de sa gloire et les conduire, multitude pacifiée par son génie, vers le but définitif prescrit à toutes les collectivités d’hommes. »

J’affirme que telle a été la foi de toutes les grandes nations anciennes et modernes, et que, seule, cette foi a pu les mettre à même d’exercer, à tour de rôle, une décisive influence sur les destinées de l’humanité. Ce fut la croyance de la Rome antique ; plus tard celle de la Rome papale. Quand la France fut devenue la grande puissance catholique, elle pensa de même et, pendant deux siècles, se crut à la tête des peuples, au moins moralement, parfois aussi politiquement parlant, jusqu’à l’époque de ses récents revers. L’Allemagne, de son côté, caressa un rêve identique, et ce fut pour cela qu’elle opposa à l’autorité catholique la liberté de conscience et le libre examen. Je le répète, cela doit arriver plus ou moins à toutes les grandes nations au moment où elles sont à l’apogée de leur puissance. On me répondra que tout cela est inexact, et l’on tâchera de me confondre en me prouvant l’unanimité des savants et des penseurs de toute nationalité à