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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

dire plus d’humanité et plus de justice, je le demande aussi bien pour les juifs que pour les autres. Et, malgré les objections que j’ai soulevées, je suis prêt à réclamer tous les droits pour les juifs, bien que peut-être ils en aient déjà plus que les autochtones ou du moins qu’ils aient de plus grandes facilités pour en profiter. Mais voici ce qui me passe par la tête : j’admets que notre commune rurale tombe absolument au pouvoir du juif ; je crois que ce sera sa fin. Tous les biens, toute la force, passeront demain au juif et le pauvre paysan sera plus mal traité qu’au temps du sauvage, — que dis-je ? — qu’à l’époque du joug tartare ! Malgré les imaginations de ce genre qui me traversent parfois la cervelle, je répète que je suis tout disposé à réclamer pour les juifs ce qu’ont obtenu les autres et, cela au nom d’un principe strictement chrétien. Je me contredis, alors ? Aucunement. Du côté des Russes je ne vois aucune espèce d’obstacle ; mais il y en a du côté des juifs. Si la question n’est pas encore réglée malgré le désir général, c’est bien plus par la faute des juifs que par celle des Russes. Je vous ai déjà parlé des israélites qui fuyait l’autochtone, qui ne voulait ni le traité en camarade, ni manger avec lui. Le Russe n’en s’en fâchait pas, les excusait au contraire, en invoquant la religion du juif, seule coupable en l’occurrence.

Un israélite, encore, m’a écrit que les siens aimaient beaucoup les Russes, mais s’affligeaient de penser que ces pauvres gens n’avaient pas de religion réelle ; qu’en tout cas, lui, ne comprenait rien aux idées religieuses de notre peuple. Alors un juif instruit trouve inintelligible notre religion ? Quelle sera l’opinion des Juifs illettrés ?

Mais c’est surtout l’arrogance juive qui est pénible pour nous autres Russes. Le Russe n’a pas de haine religieuse contre le juif, bien que ce dernier crie encore à la persécution. Le Russe a souvent élevé la voix en faveur de l’israélite. Mais le juif, lui, quand il juge si sévèrement le Russe, ne prend jamais en considération que notre peuple a été longtemps, et plus que bien d’autre, persécuté et opprimé. Peut-on affirmer que le juif lui-même ne se soit pas ligué bien souvent avec les persécu-