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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/423

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

roubles qu’il ajouta. Et le domestique, sur son ordre, alla acheter une vache. Le bûcheron, congédié par le docteur, était retourné chez lui. Quel ne fut pas son étonnement en voyant arriver une vache. Le domestique lui expliqua que le docteur pensait que le lait de chèvre était nuisible sa famille.

« L’histoire de sa vie est pleine de traits de ce genre. Il lui arrivait de laisser trente ou quarante roubles chez des pauvres.

« On l’a enterré comme un saint. Tous les pauvres gens ont laissé là leur ouvrage pour suivre son cercueil. Il y a chez les juifs de jeunes garçons qui chantent des psaumes pendant les enterrements. Mais ils ne doivent jamais chanter à l’inhumation d’un homme qui n’appartient pas à la religion israélite. Eh bien, aux obsèques du docteur, les jeunes juifs chantèrent leurs psaumes comme s’ils avaient accompagné l’un des leurs.

« Dans toutes les synagogues on a prié pour son âme. Les cloches de toutes les églises sonnaient pendant les funérailles. Il y eut un orchestre militaire et aussi un orchestre dont les musiciens, — des juifs — avaient été demander, comme un honneur, aux fils du défunt, la permission de jouer pendant la cérémonie funèbre. Tous les pauvres ont donné, qui dix, qui cinq kopecks, les juifs riches davantage, et l’on a commandé une splendide et immense couronne de fleurs naturelles qui a été portée à l’enterrement. Elle était ornée de rubans blancs et noirs sur lesquels, on avait imprimé en lettres d’or, les faits les plus connus de l’existence du docteur, par exemple la fondation d’un hôpital, etc… Je n’ai pas pu lire tout ce qui était imprimé ; mais peut-on énumérer tous ses mérites ?

« Sur sa tombe le pasteur et le rabbin ont parlé de la façon la plus émouvante ; tous deux pleuraient. Lui, gisait là dans la bière découverte, vêtu de son vieil uniforme passé, la tête enveloppée d’un vieux mouchoir. — sa tête de brave homme, — et il paraissait dormir tant son teint était frais. »