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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

pour but l’acquisition de nouvelles richesses, une campagne faite dans l’intérêt des boursiers, des exploiteurs. Une guerre de cette espèce est profondément corruptrice, elle peut même perdre un peuple, tandis que la lutte tentée pour délivrer des opprimés, la lutte désintéressée et sainte purifie l’air, guérit l’âme d’une nation, chasse la poltronnerie et la mollesse. Une telle guerre fortifie les esprits par la conscience du sacrifice, par l’union de tout le peuple d’un pays.

Voyez comment ils ont débuté, nos humanitaires : ils ont fait preuve d’une férocité inhumaine en refusant tout secours à des malheureux martyrisés qui criaient à l’aide.

Leur thèse favorite était : « Médecin, guéris-toi d’abord toi-même ! » Dédaigneux de la volonté nationale, ils nous reprochaient de vouloir sauver les autres alors que nous mêmes ne savions même pas créer des écoles. Mais, ô humanitaires, nous allons lutter un peu aussi pour nous guérir nous-mêmes. Les écoles, certes, sont utiles, mais elles ont besoin avant tout d’une direction. Eh bien, c’est dans cette guerre que nous allons chercher l’esprit de décision qui nous manque. Nous reviendrons avec la conscience d’avoir accompli une œuvre désintéressée, d’avoir servi l’humanité en versant notre sang, avec la légitime fierté de notre force rajeunie. Nous allons communier avec le peuple, nous lier plus étroitement avec lui ; c’est en lui seul que nous trouverons la guérison de notre maladie, de notre faiblesse improductive de deux siècles. Oui, la guerre est utile à quelque chose ; elle est bienfaisante, elle fortifie l’humanité. Cela paraît honteux si l’on pense de façon arbitraire, mais dans la pratique on peut constater que la paix, si belle, si féconde qu’elle paraisse, arrive à débiliter les nations.

Encore une fois je ne parle pas des guerres intéressées. Nos enfants verront comment finira l’Angleterre.