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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/47

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

faveur des Polonais, dont il se moquait et dont quelques centaines périrent par sa faute, comme il l’avoua plus tard avec une rare inconscience, ― partout, encore et toujours il était le gentilhomme russe citoyen du monde, tout bonnement le produit de l’ancien servage russe qu’il haïssait et dont il avait profité.

Bielinsky, au contraire, n’était pas du tout un gentilhomme, ― oh non ! ― (Dieu sait de quelle famille il sortait ; tout au plus, croit-on pouvoir dire que son père était médecin militaire.) Bielinsky n’était pas un homme-reflet : c’était un enthousiaste, et l’enthousiasme domina toute sa vie.

Ma première nouvelle, Les Pauvres Gens, l’enthousiasma. Un an plus tard, nous nous brouillâmes pour une bêtise ; mais, dès les premiers jours de notre amitié, il s’attacha à moi de tout son cœur et n’eut pas de repos qu’il ne fût arrivé à me convertir à ses croyances et incroyances. Du premier coup, il voulut me mener droit à l’athéisme. Il était admirablement apte à comprendre toutes les idées, à se reconnaître dans tous les arcanes de l’idée.

Quand l’« Internationale », dans l’un de ses premiers manifestes, se proclama de prime abord « la Société athée », elle eut toute l’approbation de Bielinsky. Mais bien qu’il appréciât avant tout la Raison, la Science et le Réalisme, il savait pertinemment que la Raison, la Science et le Réalisme ne peuvent, à eux seuls, créer qu’une fourmilière humaine et non l’« Harmonie Sociale » favorable à la vie et au vrai développement de l’homme. Il n’ignorait pas que les principes moraux sont la base de tout. Il croyait éperdument en les principes moraux sur lesquels repose le socialisme. Cependant comme socialiste il voulait tout d’abord le renversement du christianisme. Pour lui, la vraie révolution devait absolument commencer par l’athéisme. Il voulait comme début détruire cette religion chrétienne sur laquelle s’est appuyée l’ancienne société. Du reste la Famille, la Propriété, la Responsabilité humaine, il niait tout cela radicalement. (Je ferai remarquer toutefois que, semblable en cela à Herzen, il était bon père et bon mari.) D’autre part, il comprenait