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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

même des gens éclairés considèrent la question. Mais l’idée religieuse et l’idée papale ont, au fond, une importance bien plus grande que l’on croit. L’idée romaine vient de se manifester en France, si vitale et si puissante qu’elle y a produit un radical changement de politique.

Pendant ces dernières années, les Français ont vu se former chez eux une majorité parlementaire républicaine qui a mené les affaires honnêtement, proprement et sans secousses. Elle a reconstitué l’armée, a dépensé sans chicaner de grosses sommes pour sa réorganisation, mais on sait bien, en Europe, que le parti républicain est pacifique. Les chefs de cette majorité se sont fait remarquer par une prudence et une réserve que l’on n’attendait guère d’eux. Malheureusement ce sont un peu des idéalistes naturellement très peu pratiques : beaucoup d’entre eux ont passé l’âge de l’énergie. Ce sont des vieillards libéraux qui veulent paraître jeunes. Ils se sont arrêtés aux idées de la première révolution française, c’est-dire qu’il se tiennent pour satisfait par le triomphe du Tiers-État ; ils sont l’incarnation de la bourgeoisie. Leur gouvernement, c’est la monarchie de juillet avec le roi, « le tyran » en moins. Tout ce qu’ils ont apporté de neuf, c’est le suffrage universel, déjà proclamé en 1848, ce suffrage universel dont le gouvernement de Louis-Philippe avait si peur, bien qu’il se soit montré bien peu dangereux, — ait même été utile à la bourgeoisie. Il a beaucoup servi, naguère à la popularité de l’empire de Napoléon III. Mais les bons vieillards s’en sont réjouis comme d’une innovation et ont manifesté une joie un peu puérile de s’affirmer des républicains. Le mot « République » est, chez eux, quelque chose d’assez comiquement idéal. Ils ont été longtemps convaincus que les bourgeois et les propriétaires terriens étaient ravis d’eux. Mais l’événement leur a donné tort. En France la République toujours paru un gouvernement peu sûr. S’ils n’étaient pas haïs, les républicains étaient, non pas méprisés, peut-être, mais certainement peu estimés et considérés comme impuissants par la majorité de la bourgeoisie. Le peuple a rarement cru en eux. Cela vient