D’ailleurs je cessai bientôt de rire ; je n’avais été pris d’un accès d’hilarité qu’en découvrant la raison de ma détestable humeur. Et sans aucune transition, je me mis à songer à ma causerie de la veille avec le Moscovite… N’avions-nous pas parlé du caractère de hasard de la famille d’aujourd’hui ? Et je rebroyai du noir. On me demandera ce que j’appelle caractère de hasard ? Je réponds que mon expression voudrait synthétiser ce que je ressens en voyant les pères actuels perdre les idées qui semblaient communes à tous les pères, touchant leurs familles, idées dans lesquelles ils avaient foi et qu’ils cherchaient à transmettre à leurs enfants. Certaines de ces idées pouvaient être erronées ; eh bien ! les plus intelligents des enfants avaient le droit de les modifier à l’usage de leurs propres rejetons. Mais il demeurait toujours une doctrine générale dont les détails pouvaient varier sans que le fond en subît de grandes altérations. Aujourd’hui, au contraire, il n’y a plus rien de général, rien de commun à tous les pères de famille pris en masse. Nous ne rencontrons plus que la négation du parti pris. Si l’on essaie de poser quelque principe positif, il sera individuel ; il n’y aura que des tâtonnements ; aucune foi n’animera ceux qui adopteront temporairement un système de hasard. Chaque essai pourra avoir de très beaux débuts, mais tout sera entrepris sans esprit de suite ; parfois même on se contentera d’admettre en bloc tout ce que l’on proscrivait autrefois, en partant de cette idée que ce qui est ancien est forcément bête, et cela mènera à des bêtises, comme la permission de fumer accordée à cette enfant de sept ans. On ne verra plus que des pères faibles, indifférents, égoïstes se disant : « Mon Dieu ! Il n’y a qu’à laisser aller les choses ! Ça ira comme ça pourra ! Y a-t-il vraiment de quoi se casser la tête ? Nos enfants seront comme tous les enfants, ils se formeront d’une façon ou d’une autre. Seulement comme ces moutards sont insupportables, il vaudrait mieux qu’ils n’existent pas ! » Comme résultat nous aurons le désordre, l’émiettement, le caractère de hasard de l’autorité familiale en Russie et ne pourrons plus mettre notre espoir qu’en Dieu seul. Peut-être nous enverra-t-il une