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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

positions ont été très réservées, très prudentes. Ils se plaignaient peu et se défendaient à peine. Je ne crois pas qu’ils aient seulement obéi à la peur que leur inspiraient leurs parents. Au contraire, le fait que ces derniers fussent mis en accusation à cause de leur mauvais traitement envers eux eût dû leur donner du courage. Je me figure qu’ils souffraient de charger leurs père et mère. Quels sentiments resteront à ces enfants de cette journée dans l’avenir ? Leur père se croit dans son droit, il dévoile avec horreur mille forfaits qu’ils ont commis. Leur mère, elle, a confiance dans le futur ; entièrement ! Elle déclare au tribunal que tout le malheur vient des mauvais instituteurs et institutrices ; que dès que son mari s’occupera lui-même de l’éducation des trois monstres, ils se corrigeront tout à fait… Que Dieu leur vienne en aide cependant !

Nous pourrions faire quelques réflexions au sujet des prouesse des petits Djounkowsky. Certes, quand ils ont frappé au visage de leur sœur morte, ils ont été odieux et révoltants. Mais examinons le fait impartialement et nous verrons encore là une abomination très enfantine. Il y a là plutôt une espèce d’insanité macabre qu’une réelle dépravation. L’imagination des enfants de cet âge est parfois positivement fantastique. Ces trois petits vivaient isolés, n’avaient de rapports avec leurs parents, pourtant voisins, que pour recevoir d’horrible semonces ou des corrections pires. Ils étaient terrorisés chez eux au point souvent de n’oser bouger. Dans leur étable à cochons, la nuit, au froid, avant de s’endormir, ou le jour, après quelque effroyable raclée, ils pouvaient être visités par des rêve plus qu’étranges. Quand la sœur aînée mourut, il n’est pas impossible que l’un des pauvres petits diables, blotti dans un coin de la couverture trouée, ait dit aux autres : « Savez-vous que c’est Dieu qui l’a punie ! Et cela parce qu’elle était méchante pour nous, parce qu’elle « rapportait » contre nous. De là-haut elle nous voit et voudrait encore dire du mal de nous, mais elle ne le peut plus ! Demain, nous nous vengerons. Nous la battrons sans qu’elle puisse s’en plaindre à personne : elle verra cela de là-haut, elle sera furieuse, et ce sera