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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

le prince Impérial s’était fiancé à la fille du Maréchal ? Mais comme ces combinaisons sont certainement fantaisistes, il me semble que le Maréchal serait plutôt enclin à faire le bonheur du pays « pour son propre compte » ; s’il soutient les candidats bonapartistes, c’est qu’il les croit plus sûrs que les autres et s’imagine les diriger à sa guise. Dieu sait quelles idées peuvent naître dans un esprit comme celui-là ! Ce n’est pas en vain qu’un évêque, dans un discours récent, lui a démontré qu’il descendait de Charlemagne par les femmes ! Avec cela, c’est un guerrier militaire. Du reste, ce ne sont là qu’explications hasardeuses d’un caractère énigmatique. En attendant on peut dire qu’il est dans les mains de gens qu’il croit mener. L’Europe soupçonne qu’il s’agit des cléricaux, mais ces derniers savent cacher l’importance réelle de leur rôle. Ils se cacheront derrière le Maréchal, — et les bonapartistes si vous voulez — jusqu’au moment où ils atteindront leur but. Au fond je me figure qu’il leur et indifférent de voir triompher le Maréchal ou le prince Impérial, pourvu qu’ils puissent jeter la France sur l’Allemagne. C’est dans ce but qu’ils ont ruiné l’influence des républicains, peu disposés à combattre pour le Pape. Ils attendront patiemment que les choses se dessinent pour le prince Impérial ou pour Mac-Mahon.

Quant à ce dernier, il aurait dit dernièrement : « On répand le bruit que j’ai l’intention de détruire les institutions républicaines. On oublie qu’en acceptant la présidence de la République, j’ai donné ma parole d’en être le gardien. » Ces paroles sembleraient affirmer la bonne foi du maréchal, mise en doute par les républicains. Mais s’il veut garder la République en chassant les républicains, c’est qu’il rêve une sorte de république réactionnaire. On a dû lui persuader que c’était possible, et cela irait avec son fameux : J’y suis, j’y reste. Il irait comme cela jusqu’à 1880, époque où arrivera le terme de sa présidence et de sa parole d’honneur. Mais il peut faire un rêve dont la réalisation commencerait alors. Le pays reconnaissant lui proposerait, pour se préserver des démagogues, un rôle nouveau, disons celui de Charlemagne, et alors tout irait admirablement bien. Les gens adroits