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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

II

UN GENTLEMAN RESTE GENTLEMAN JUSQU’AU BOUT


Une des manies de nos gentlemen russes, c’est la manie de représenter, le besoin de mener un grand train de vie. Je laisse encore Hartung en dehors du débat, pour l’instant. Je ne parle qu’en général des membres de notre classe intelligente, auxquels pourrait arriver la même chose qu’à Hartung.

Un homme quelconque, sans grande situation personnelle, pénètre subitement dans la haute société. Sans autre fortune que ses relations, il veut posséder une voiture, un logement où il soit possible de vivre, des domestiques, etc. Peut-être est-ce dans l’intention de « faire son chemin » ; mais le plus souvent, il n’agit que par esprit d’imitation. Tout le monde vit comme cela. Pourquoi vivrais-je autrement ? Il se fait un nouveau code de l’honneur, où la vraie dignité n’a rien à voir. Un autre trait de notre homme intelligent russe, c’est sa mollesse, sa facilité à se laisser aller à toutes les compromissions. Il y a un tas d’exploiteurs, de boursiers, de tripoteurs qui sont des gens répugnants, mais fermes, mais ils sont peu nombreux. La société russe honnête se distingue par son besoin de faire toutes sortes de concessions, d’être toujours d’accord avec tout le monde. Cette expression « tout le monde », à une extrême importance pour un Russe, qui aime toujours à « être d’accord avec l’opinion générale ». Puis ce même Russe a un talent tout particulier pour s’entraîner lui-même à faire une sottise. Il n’aura peut-être aucune envie d’aller chez Zanftleben et de devenir son exécuteur testamentaire, mais il se convaincra lui-même qu’il ne saurait faire autrement. Eh bien quoi ! allons-y !

Dans cette sphère des Russes intelligents on trouvera