II
DISCOURS SUR POUSCHKINE
Pouschkine est un phénomène extraordinaire, et peut-être le phénomène unique de l’âme russe, a dit Gogol. J’ajouterai, pour ma part, que c’est un génie prophétique.
Pouschkine apparaît juste à l’heure où nous semblons prendre conscience de nous-même, un siècle environ après la grande réforme de Pierre, et sa venue contribue fortement à éclairer notre chemin.
L’activité intellectuelle de notre grand poète à trois périodes. Je ne parle pas, en ce moment, en critique littéraire ; je ne songe qu’à ce qu’il y a pour nous de prophétique dans son œuvre. J’admets que ces trois périodes n’aient pas entre elles des limites très tranchées. Ainsi, selon moi, le commencement d’Oniéguine appartient à la première et à la fin de la deuxième période, alors que Pouschkine a déjà trouvé son idéal dans la glèbe natale.
Il est d’usage de dire que Pouschkine, à ses débuts, a imité les poètes européens, Parny, André Chénier et surtout Byron. Sas doute les poètes de l’Europe ont eu une grande influence sur le développement de son génie, et cette influence, ils l’ont gardé jusqu’à la fin de la vie de Pouschkine. Néanmoins, les premières poésies même de Pouschkine ne sont pas seulement une imitation : l’indépendance de son génie y perce déjà. Jamais, dans des œuvres simplement imitées, on ne verra une telle intensité de douleur et une si profonde conscience de soi-même. Prenez, par exemple, les Tsiganes, poème que je place dans la première période de son activité créatrice. Je ne parle pas seulement de sa fougue, qui ne sau-