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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/613

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Mais, messieurs, des gilets blancs ne constituent pas un édifice ; c’est tout au plus si la réunion d’un certain nombre de ces gilets peut composer ce qu’on appelle un salon. Si encore, vos gilets blancs pouvaient donner un avis raisonnable sur une question générale ! Mais pourvus de gilets blancs ou non, nous nous sommes tenus à l’écart de notre peuple pendant des siècles, et nous allons tout à coup fusionner avec lui ! Il ne s’agit pas d’un jeu de scène de vaudeville ; non, il est question de culture intellectuelle, et nous n’avons pas eu de culture qui nous soit propre, jusqu’à présent. Songez-y. Prenez le Russe européanisé, même le plus inoffensif et le plus aimable de son naturel, et voyez avec quelle rage nigaude et haineuse il se démène, parfois l’écume à la bouche, pour soutenir ses idées bien aimées, surtout celles qui sont le plus nettement en contradiction avec l’idéal russe : « Nous seuls, clame-t-il, pouvons donner un conseil utile et que les autres (tout le pays) soient bien heureux que nous daignions faire nos efforts pour les élever jusqu’à nous, pour leur apprendre leurs droits et leurs devoirs ! » Oui ce sont les gens de son espèce qui veulent apprendre au peuple ses droits et même ses devoir, les farceurs ! La tutelle qu’ils prétendent nous imposer ressort fort à l’ancien servage :


Et le peuple, nous l’enchainerons de nouveau !


Oui, ils organisent des parlotes ; mais dès le premier jour ils ne s’entendent plus. Ne vous offensez pas, messieurs. Mais ce n’est pas d’une société comme la votre qui, depuis deux siècles, a rompu avec le peuple, avec toute tâche utile et qui n’a pas de culture originale, que peut sortir un conseil efficace.

Les donneurs d’avis se multiplient d’une façon extraordinaire chez nous. Le premier monsieur venu s’installera devant vous et se mettra à pérorer. Cela n’aura ni queue ni tête et cela pourra durer une heure et demie. Oh ! il parlera aussi facilement que l’oiseau chante. On se demandera : « Est-ce un homme d’esprit ou… le contraire ? » Et personne ne saura quoi décider. Chaque