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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

publique croît et se fortifise, et le peuple s’explique déjà bien plus de choses qu’on ne le croit à Pétersbourg. Mais ceux-là seuls le voient qui savent regarder. Pour éviter de grands malentendus futurs, comme il serait désirable, je le répète, que Pétersbourg atténuât un peu son dédain pour le reste de la Russie ! Combien cela aiderait à la guérison des racines !

Mais, va-t-on m’objecter, tout cela c’est du vieux radotage slavophile ; et puis qu’est-ce que vous nous racontez avec votre guérison des racines ? Vous ne l’avez pas encore expliqué. Vous avez raison. Commençons par les racines.


IV


LE PEUPLE


Ce qu’il faut guérir tout d’abord c’est le peuple russe lui-même, successivement comparé à un océan et à des racines. Je parle du petit peuple, des ouvriers et des paysans, la « force payante », les mains calleuses, — l’Océan.

Comment pourrais-je ignorer tout ce que fait pour lui le gouvernement actuel, qui a débuté par l’émancipation des serfs ? Oui, le gouvernement se soucie de ses besoins, de son instruction, il le soigne, il lui fait même grâce à l’occasion des impôts non payés. Qui ne le sait ? Mais ce n’est pas de cela que je veux parler tout d’abord. Je ne songe qu’à la guérison morale de cette immense racine sur quoi tout s’appuie.

Oui, le peuple est malade moralement, non de façon mortelle, mais la maladie est grave. Il est difficile de lui donner un nom. Pourrait-on l’appeler « la soif de vérité non satisfaite ? » Le peuple cherche sans relâche la vérité et le chemin qui y conduit, mais il ne trouve pas toujours. Je voudrais me borner à parler ici du côté finan-