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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN
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toute la nuit l’aîné hulule dans le noir : « Antropka ! Antropka !  » Il est furieux de ne pouvoir ramener son frère pour le faire fouetter.

« Eh bien, pour vous, les « Antropka » ce sont ceux de vos nouveaux abonnés qui pourraient croire encore à votre honnêteté. Vous vous égosillez, dans la nuit de vos écrits, à les appeler furieusement :

« Antropka ! Antropka ! »

« Je me permettrai encore une allégorie :

« Imagine-toi que tu es invité dans le monde. Tes articles m’ont amené à croire que tu fréquentais parfois des gens convenables. Tu arrives chez un conseiller d’État, dont c’est la fête. Les autres invités ont obtenu du maître du logis quelques renseignements sur ton genre d’esprit. Tu te présentes convenablement : tu es bien mis ; tu salues la maîtresse de la maison et lui fais quelques compliments. Tu vois avec plaisir que l’on te regarde avec sympathie et tu te prépares à briller le plus possible. Mais, tout à coup, — horreur ! — tu aperçois dans un coin du salon ton affreux ennemi, le rédacteur du journal hostile. (Tu ignorais qu’il fréquentât la maison.) Du coup, tu changes de visage. Le maître de céans, qui attribue ta gêne à une indisposition passagère, te présente, pour te remettre, à ton fougueux adversaire. Et voilà que tous deux, les champions, vous vous tournez le dos. Le bon hôte s’inquiète d’abord, puis se rassure en pensant que c’est quelque nouvel usage entre gens de lettres, dont on n’a aucune idée au conseil d’État.

« On propose une partie de cartes ; on s’assoit à la table de jeu, et c’est à toi de donner les cartes. Ravi de trouver un prétexte pour ne pas regarder ton ennemi, tu empoignes le paquet de petits cartons peints avec une joyeuse fureur. Atrocité ! On vous a placés, toi et lui, à la même table ! Vous ne pouvez, pourtant refuser de jouer avec deux charmantes mondaines, vos partenaires. Elles sont déjà installées. Quelques parentes et amies les ont accompagnées, curieuses de savoir ce que peuvent bien dire deux hommes de lettres quand ils cartonnent. Toutes guettent votre