Page:Dostoïevski - L’Éternel Mari, trad. Nina Halpérine-Kaminsky, 1896.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

épaisse, sans un fil blanc sur la tête, et une grande barbe blonde, qui lui tombait presque au milieu de la poitrine. D’abord, on lui trouvait l’air inculte et négligé ; mais, en y regardant de plus près, on découvrait tout de suite un homme fort bien élevé, et façonné aux manières du meilleur monde. Il avait conservé des allures aisées, fières et même élégantes, en dépit de la gaucherie brusque qu’il avait acquise. Et il avait encore cette assurance hautaine et aristocratique, dont lui-même peut-être il ne soupçonnait pas le degré, bien qu’il eût l’esprit non seulement ouvert, mais subtil, et qu’il fût incontestablement doué.

La carnation de son visage clair et rosé avait eu jadis une délicatesse toute féminine et avait attiré sur lui l’attention des femmes ; maintenant encore, on disait en le regardant : « La belle santé ! du sang et du lait. » Seulement, cette « belle santé » était cruellement infectée d’hypocondrie. Ses grands yeux bleus, il y a dix ans, avaient fait bien des conquêtes : c’étaient des yeux si clairs, si gais, si insouciants, qu’ils retenaient malgré lui le regard qui les rencontrait. Aujourd’hui, à l’approche de la quarantaine, la clarté et la bonté s’étaient presque éteintes dans ces yeux déjà cernés de rides lé-