Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/129

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Dites-moi seulement : Romps tout, et je romprai tout aujourd’hui même. Oh ! qu’est-ce qu’il vous en coûte de dire cela ? En sollicitant ce mot, j’implore seulement de vous une marque d’intérêt et de compassion, rien de plus, rien ! Je n’ose concevoir aucune espérance, car j’ai le sentiment de mon indignité. Mais, après avoir reçu votre mot, j’accepterai de nouveau la pauvreté, je supporterai joyeusement ma position désespérée, j’affronterai la lutte d’un cœur léger et avec des forces rajeunies !

« Envoyez-moi donc ce mot de pitié (de pitié seulement, je vous le jure !). Ne vous fâchez pas contre un désespéré, contre un noyé, et ne l’accusez pas d’insolence parce qu’il a osé faire un dernier effort pour échapper à sa perte.

« G. I. »

Quand le prince eut achevé sa lecture, Aglaé prit la parole d’un ton âpre :

— Cet homme assure que le mot « rompez tout » ne me compromettra pas, ne m’engagera en aucune façon, et lui-même, comme vous voyez, m’en donne, par ce même billet, la garantie écrite. Remarquez comme il s’est naïvement empressé de souligner certains petits mots, et avec quelle clarté brutale apparaît sa pensée secrète. Il sait, du reste, que s’il rompait tout, mais de lui-même, seul, sans attendre un mot de moi, sans même me parler de cela, enfin sans fonder sur moi aucun espoir, il sait, dis-je, qu’en ce cas je changerais de sentiments à son égard et je deviendrais peut-être son amie. Il est loin d’ignorer cela ! Mais son âme est vile, et, tout en sachant cela, il ne se décide pas, il exige des garanties au préalable, il ne peut se résoudre à agir de confiance ; pour renoncer à cent mille roubles, il veut que je l’autorise à espérer ma main. Quant au mot d’autrefois dont il parle dans sa lettre et qui aurait illuminé sa vie, il commet un impudent mensonge. Un jour je lui ai simplement témoigné quelque pitié. Mais il est insolent et effronté : là-dessus il a immédiatement échafaudé des espérances ; je