Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/151

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— Si expérimentée, n’est-ce pas ?

— Ce n’est pas ainsi que je voulais m’exprimer. Comment se fait-il que tu aies pu l’abuser à ce point sur tes sentiments ?

Dans ces paroles perçait une irritation aussi soudaine que violente. Après un moment de réflexion, Gania répliqua d’un ton franchement sarcastique :

— Cette fois encore, maman, vous n’avez pas su vous contenir, la patience vous a échappé ; c’est ainsi qu’ont toujours commencé toutes les querelles entre nous. Vous aviez promis de m’épargner toute interrogation, tout reproche, et voilà que vous oubliez déjà votre promesse ! Nous ferons mieux de laisser cela ; oui, mieux vaut n’en plus parler. Du moins, votre intention était bonne… Jamais, pour rien au monde, je ne vous quitterai ; un autre, à ma place fuirait du moins une pareille sœur. Voyez comme elle me regarde à présent ! Restons-en là ! J’étais déjà si content… Et qui vous dit que je trompe Nastasia Philippovna ? Quant à Varia, elle fera comme il lui plaira. En voilà assez ! Allons, il est plus que temps d’en finir !

À mesure qu’il parlait, Gania s’échauffait davantage. Obéissant à un inconscient besoin d’activité, il marchait à grands pas dans la chambre. Chaque fois que cette question délicate était mise sur le tapis, la conversation tournait aussitôt à l’aigre.

— J’ai dit que, si elle entrait ici, j’en sortirais, et je tiendrai parole, déclara Varia.

— Par entêtement ! vociféra Gania. — C’est aussi par entêtement que tu ne te maries pas ! Pourquoi as-tu l’air de me narguer ? Je me moque bien de cela, Barbara Ardalionovna ; vous pouvez même, si le cœur vous en dit, mettre votre projet à exécution séance tenante. Ce sera un fameux débarras pour moi ! Comment ! vous vous décidez enfin à nous laisser, prince, cria-t-il à Muichkine, voyant que celui-ci se disposait à sortir.

Comme l’indiquait le son de sa voix, Gania en était arrivé