Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/162

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— Contre les balles ! s’écria Nastasia Philippovna.

— Elles sont ici, dans ma poitrine, mais je les ai reçues au siège de Kars, et, quand le temps est mauvais, je les sens. Sous tous les autres rapports, je vis en philosophe, je me promène, je joue aux dames à mon café, comme un bourgeois retiré des affaires, et je lis l’Indépendance. Mais, pour ce qui est de notre Porthos, Épantchine, je n’ai plus du tout de relations avec lui depuis l’histoire qui m’est arrivée en chemin de fer il y a trois ans, à l’occasion d’un bichon.

— D’un bichon ? Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda avec une vive curiosité la visiteuse. — Vous avez eu une histoire avec un bichon ? Permettez, et en chemin de fer !… ajouta-t-elle comme si les paroles du général lui avaient rappelé quelque chose.

— Oh ! une sotte aventure, ce n’est même pas la peine de revenir là-dessus : au sujet de mistress Schmidt, gouvernante chez la princesse Biélokonsky, mais… ce n’est pas une chose à répéter.

— Si fait, racontez-la donc ! reprit gaiement Nastasia Philippovna.

— Moi non plus, je n’en ai pas encore entendu parler, observa Ferdychtchenko ; — c’est du nouveau.

— Ardalion Alexandrovitch ! fit d’une voix suppliante Nina Alexandrovna.

— Papa, on vous demande ! cria Kolia.

— L’histoire est bête et peut se raconter en deux mots, commença d’un air suffisant le général. — Il y a de cela deux ans, oui ! à peu près ; on venait d’inaugurer la ligne de… Ayant à faire un voyage d’une extrême importance, je prends un billet de première classe (j’étais en civil), je monte dans le train, je m’assieds et je fume. C’est-à-dire que je continue à fumer, car j’avais allumé mon cigare avant de monter en wagon. J’étais seul dans le compartiment. Il n’est pas permis de fumer, mais cela n’est pas défendu non plus, on peut donc se croire à demi autorisé à le faire, d’ailleurs la glace était baissée. Tout à coup, au moment où