Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/216

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ménage avec beaucoup de zèle : il allait à la provision, raccommodait mes effets, tenait mon appartement en ordre et même chipait à droite et à gauche, dès qu’il en trouvait l’occasion, tous les objets dont l’acquisition pouvait rendre mon intérieur plus confortable ; c’était un homme très dévoué et très-honnête. Moi, naturellement, j’étais sévère, mais juste. Nous dûmes séjourner pendant quelque temps dans une petite ville. On m’envoya loger dans un faubourg, chez la veuve d’un ancien sous-lieutenant. Cette femme était octogénaire ou peu s’en fallait. Elle habitait une petite maison de bois, vieille, délabrée, et sa pauvreté était telle qu’elle n’avait même pas de servante. Autrefois on lui avait connu une très-nombreuse famille, mais, parmi ses proches, les uns étaient morts, les autres s’étaient dispersés ou l’avaient oubliée. Quant à son mari, elle l’avait perdu depuis près d’un demi-siècle. Quelques années auparavant, la veuve avait eu avec elle une nièce ; cette dernière était une bossue, méchante, dit-on, comme une sorcière, à ce point qu’un jour elle mordit le doigt de sa tante. Mais la nièce vint aussi à mourir, en sorte que depuis trois ans la vieille se trouvait toute seule. Je m’ennuyais passablement chez elle ; d’ailleurs elle était si vide qu’on n’en pouvait rien tirer. Finalement, elle me vola un coq. Le fait jusqu’à présent n’a pas encore été éclairci, mais ce vol n’a pu être commis que par elle. Nous eûmes ensemble une querelle sérieuse au sujet du coq ; puis je demandai la permission de changer de logement. On me transféra alors à l’autre bout de la ville, chez un marchand qui était père d’une très-nombreuse famille et qui avait une longue barbe ; il me semble que je le vois encore. Nikifor et moi, nous nous rendîmes avec joie dans cette maison et mes adieux à la vieille furent des moins amicaux. Trois jours après, comme j’arrivais de l’exercice, Nikifor me dit : « Vous avez eu tort, Votre Noblesse, de laisser notre soupière chez l’ancienne logeuse, nous n’avons plus rien pour servir la soupe ». Naturellement, je n’y compris rien. « Comment cela ? répondis-je, par quel hasard notre soupière est-