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Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/242

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— Tu sors du cabaret, tu es ivre, on devrait te mettre à la porte ! reprit Daria Alexievna, pleine d’indignation.

Les rires redoublèrent.

— Tu entends, prince, fit Nastasia Philippovna en s’adressant à Muichkine, — voilà comment un moujik marchande ta future !

— Il est ivre, observa le prince. — Il vous aime beaucoup.

— Et plus tard n’auras-tu pas honte d’avoir épousé une femme qui a failli s’en aller avec Rogojine ?

— Vous aviez alors l’esprit troublé par la fièvre, maintenant encore vous êtes agitée, comme en délire.

— Et tu ne te sentiras pas honteux quand par la suite on te dira que ta femme a été l’entretenue de Totzky ?

— Non, je ne m’en sentirai pas honteux… Ce n’est pas de votre propre gré que vous avez appartenu à Totzky.

— Et jamais tu ne me feras de reproches ?

— Je ne vous en ferai jamais.

— Allons, prends garde, ne réponds pas pour toute la vie !

— Nastasia Philippovna, reprit le prince d’une voix douce où perçait comme un accent de commisération, — je vous ai dit tout à l’heure que je me tiendrais pour honoré d’obtenir votre main, loin de croire que je vous fais honneur en vous épousant. À ces mots vous avez souri, et j’ai aussi entendu rire autour de moi. Peut-être me suis-je exprimé ridiculement et ai-je été moi-même ridicule ; mais il m’a toujours semblé que je… comprenais en quoi consiste l’honneur, et je suis sûr d’avoir dit la vérité. Tout à l’heure vous vouliez vous perdre, irrévocablement, car jamais par la suite vous ne vous seriez pardonné cela : mais vous n’êtes coupable de rien. Il est impossible que votre vie soit définitivement perdue. Qu’importe que Rogojine soit venu chez vous, et que Gabriel Ardalionovitch ait voulu vous tromper ? Pourquoi revenir sans cesse là-dessus ? Ce que vous avez fait, peu de gens, je le répète, seraient capables de le faire, et si vous avez voulu partir avec Rogojine, ç’a été sous l’influence de la fièvre. Maintenant encore vous êtes souffrante, et vous