Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/258

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C’était une personne qui, dans son genre, ne manquait pas de fierté, bien qu’elle se fût faufilée dans une maison d’où son frère avait été, pour ainsi dire, mis à la porte. Les Épantchine et elle se connaissaient déjà auparavant, mais s’étaient peu vus jusqu’alors. Du reste, maintenant même, Varia ne se montrait guère au salon, et elle prenait l’escalier de service, comme si elle ne faisait qu’entrer en passant. Élisabeth Prokofievna ne lui témoignait jamais aucune bienveillance, quoiqu’elle eût beaucoup d’estime pour Nina Alexandrovna, la mère de Barbara Ardalionovna. Cette liaison causait à la générale autant de surprise que de mécontentement : elle ne voyait là qu’un caprice de ses filles, qui « voulaient toujours en faire à leur tête et ne savaient qu’inventer pour la contrarier ». Néanmoins, Barbara Ardalionovna continua ses visites après comme avant son mariage.

Un mois s’était écoulé depuis le départ du prince, lorsque la générale Épantchine reçut une lettre de la vieille princesse Biélokonsky, qui, quinze jours auparavant, était allée voir sa fille aînée, mariée à Moscou. Ce que son amie lui mandait, Élisabeth Prokofievna le garda pour elle, mais divers indices permirent à son entourage de constater que la lecture de ce pli l’avait mise dans un état particulier d’excitation, d’agitation même. Elle devint étrangement causeuse avec ses enfants et commença à leur parler de choses fort extraordinaires ; il était visible qu’elle avait envie de s’expliquer, mais qu’elle ne pouvait s’y résoudre. Le jour où elle reçut la lettre, elle combla ses trois filles de caresses, embrassa même Aglaé et Adélaïde, enfin leur fit une sorte de confession à laquelle, du reste, ni l’une ni l’autre ne comprit rien. La générale alla jusqu’à se relâcher de sa rigueur envers son mari, à qui elle battait froid depuis un mois. Bien entendu, le lendemain elle s’en voulut fort d’avoir montré tant de sensibilité la veille, et, avant le diner, elle avait déjà eu le temps de se quereller avec tout le monde ; mais, vers le soir, l’horizon s’éclaircit de nouveau. Bref, durant huit jours, on