subi une transformation complète : il était maintenant vêtu d’habits faits par un des bons tailleurs de Moscou ; mais, au défaut de suivre la mode de trop près, cette toilette joignait celui d’être portée par un homme qui n’avait nullement les façons d’un petit-maître ; aussi, un observateur enclin à la moquerie aurait-il pu trouver là matière à rire. Mais qu’est-ce qui ne prête pas à la risée ?
Le prince prit une voiture et se fit conduire aux Sables. Dans une des rues de la Nativité, il découvrit bientôt la maison qu’il cherchait. C’était une petite maisonnette en bois dont il remarqua avec surprise l’air avenant, propre et bien tenu ; autour de cette habitation il y avait un enclos où on cultivait des fleurs. Les fenêtres donnant sur la rue étaient ouvertes et laissaient arriver au dehors un flot incessant de paroles bruyantes, presque criardes, comme si quelqu’un faisait une lecture à haute voix ou même prononçait un discours ; celui qui parlait était de temps à autre interrompu par des rires sonores. Le prince entra dans la cour et monta le perron. Une cuisinière aux manches retroussées jusqu’aux coudes lui ouvrit la porte. Le visiteur demanda monsieur Lébédeff.
— Mais il est là, répondit-elle, en montrant du doigt le « salon ». Cette pièce, tapissée d’un papier bleu foncé, était meublée convenablement et même avec une certaine prétention, c’est-à-dire qu’il s’y trouvait une table ronde, un divan, une pendule de bronze placée sous une cloche, une glace étroite adossée au trumeau et un petit lustre suspendu au plafond par une chaînette de bronze. Lorsque le prince entra, monsieur Lébédeff, debout au milieu de la chambre, tournait le dos à la porte. Vu la chaleur, le maître de la maison ne portait aucun vêtement par-dessus son gilet ; il pérorait en se frappant la poitrine. Ses auditeurs étaient un garçon de quinze ans, à la mine rieuse et point sotte, qui tenait un livre dans ses mains ; une jeune fille de vingt ans toute vêtue de deuil et portant sur ses bras un enfant à la mamelle ; une fillette de treize ans, en deuil aussi, qui riait fort, et, en