Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/317

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doutes, toutes les perplexités se résolvaient d’emblée en une harmonie supérieure, en une tranquillité sereine et joyeuse, pleinement rationnelle et motivée. Mais ces moments radieux n’étaient encore que le prélude de la seconde finale, celle à laquelle succédait immédiatement l’accès. Cette seconde, assurément, était inexprimable. Quand plus tard, rendu à la santé, le prince réfléchissait là-dessus, il se disait souvent : « Ces instants fugitifs où se manifeste la plus haute conscience de soi-même et par conséquent aussi la vie la plus haute, ne sont dus qu’à la maladie, à la rupture des conditions normales, et, s’il en est ainsi, il n’y a pas là de vie supérieure, mais, au contraire, une vie de l’ordre le plus bas. » Cela pourtant ne l’empêchait pas d’aboutir à une conclusion des plus paradoxales : « Qu’importe que ce soit une maladie, une tension anormale, si le résultat même, tel que, revenu à la santé, je me le rappelle et l’analyse, renferme au plus haut degré l’harmonie et la beauté ; si, dans cette minute, j’ai une sensation inouïe, insoupçonnée jusqu’alors, de plénitude, de mesure, d’apaisement, de fusion, dans l’élan d’une prière, avec la plus haute synthèse de la vie ? » Ce galimatias paraissait au prince parfaitement compréhensible et n’avait d’autre tort à ses yeux que de rendre trop faiblement sa pensée. Qu’il y eût là, en effet, « beauté et prière », que ce fût réellement « la plus haute synthèse de la vie », il ne pouvait ni en douter, ni même admettre sur ce point la possibilité d’un doute. Mais n’avait-il pas dans ce moment des visions analogues aux rêves fantastiques et abrutissants que procure l’ivresse du haschich, de l’opium, ou du vin ? Il pouvait sainement juger de cela lorsque l’état maladif avait cessé. Ces instants ne se caractérisaient, — pour les définir d’un mot, — que par l’extraordinaire accroissement du sens intime. Si, dans cette seconde-là, c’est-à-dire dans le dernier moment de conscience qui précédait l’accès, le malade pouvait se dire clairement et en connaissance de cause : « Oui, pour ce moment on donnerait toute une vie ! » sans doute ce moment, à lui seul, valait toute une vie