Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/328

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

il y a un continuel va-et-vient de gens qui entrent et qui sortent. Mais aussitôt il fut persuadé entièrement, invinciblement persuadé qu’il avait reconnu cet homme, que c’était Rogojine. Au bout d’un instant, le prince, dont le cœur défaillait, s’élança à sa suite dans l’escalier. « Tout va être éclairci ! » murmura-t-il à part soi avec une conviction étrange.

L’escalier qu’il montait si précipitamment conduisait aux corridors du premier et du second étage, le long desquels étaient situées les chambres de l’hôtel. Comme dans toutes les vieilles maisons, c’était un escalier de pierre, étroit et sombre, qui tournait autour d’un gros pilier. Au niveau du premier étage, ce pilier présentait un enfoncement, une sorte de niche, large d’un pas environ, et d’une profondeur moitié moindre. Un homme pourtant aurait pu s’y introduire. Malgré l’obscurité, le prince, en arrivant sur le palier, s’aperçut tout de suite que quelqu’un était caché dans cette niche. Il voulut passer à côté sans regarder à droite, mais, après avoir fait un pas, il ne put s’empêcher de retourner la tête.

Les deux yeux de tantôt, les mêmes, s’offrirent soudain à son regard. L’homme qui se cachait là avait aussi fait un pas hors de la niche. Pendant une seconde, tous deux restèrent face à face, si rapprochés qu’ils se touchaient presque. Tout à coup le prince saisit Rogojine par les épaules et le ramena en arrière, vers l’escalier, pour mieux examiner ses traits.

Un éclair s’alluma dans les yeux de Parfène Séménitch, une rage forcenée se manifesta sur son visage défiguré par un affreux sourire. Sa main droite se leva, brandissant quelque chose qui brillait dans l’obscurité ; le prince ne pensa pas à l’arrêter. Autant qu’il s’en souvint plus tard, il se contenta de crier :

— Parfène, je ne le crois pas !…

Puis il lui sembla voir tout à coup quelque chose s’entr’ouvrir devant lui : une lumière intérieure extraordinaire éclaira son âme. Cela dura peut-être une demi-seconde ;