Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/397

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vous ? Pourquoi souriez-vous ? Parce que je n’ai pas eu honte de me commettre avec vous ? Oui, je me suis déshonorée, il n’y a plus rien à faire !… Mais toi, ne te moque pas de moi, saligaud ! (cette sortie était dirigée contre Hippolyte) : il a à peine le souffle et il pervertit les autres. Tu as endoctriné cet enfant (elle montrait de nouveau Kolia) ; il a la tête tournée par toi, tu lui enseignes l’athéisme, tu ne crois pas en Dieu, et l’on pourrait encore te donner le fouet, monsieur, mais peste soit de vous ! Ainsi, prince Léon Nikolaïévitch, tu iras demain chez eux, tu iras ? demanda-t-elle pour la seconde fois au prince, d’une voix presque haletante.

— Oui.

— Eh bien, après cela je ne veux plus te connaître !

Elle fit un brusque mouvement pour se retirer, puis tout à coup elle se retourna.

— Et tu iras chez cet athée ? poursuivit la générale en montrant Hippolyte. — Mais pourquoi as-tu l’air de me narguer ? vociféra-t-elle furieuse, et elle s’élança soudain vers le malade, dont le sourire moqueur la mettait hors d’elle-même

De tous les côtés à la fois se firent entendre des exclamations :

— Élisabeth Prokofievna ! Élisabeth Prokofievna ! Élisabeth Prokofievna !

— Maman, c’est une honte ! cria Aglaé.

S’étant vivement approchée d’Hippolyte, la générale lui avait empoigné le bras et le serrait avec force, tandis que ses yeux étincelants de colère étaient fixés sur le visage du jeune homme.

— Ne vous inquiétez pas, Aglaé Ivanovna, répondit-il tranquillement, — votre maman voit bien qu’on ne peut pas se ruer sur un moribond… je suis prêt à expliquer pourquoi je riais… je serai enchanté qu’on me permette…

Un violent accès de toux qui dura une minute entière l’empêcha d’achever sa phrase.

— Il est mourant et il pérore toujours ! s’écria Élisabeth