Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/44

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oublié la langue russe. Tenez, à présent je cause avec vous et je me dis en moi-même : « Mais c’est que je parle bien ! » Peut-être est-ce pour cela que je parle tant. Depuis hier, vraiment, j’éprouve un besoin continuel de parler russe.

— Hum ! hé ! vous avez demeuré à Pétersbourg autrefois ? (Le laquais avait beau faire, il lui était impossible de ne pas donner la réplique à un interlocuteur si poli.)

— À Pétersbourg ? Je n’y ai guère séjourné qu’en passant. Dans ce temps-là, je ne savais rien de la Russie et maintenant il s’y est, dit-on, produit tant de changements que ceux qui la connaissaient sont obligés de l’étudier à nouveau. Ici on parle beaucoup, en ce moment, des institutions judiciaires.

— Hum !… c’est vrai qu’il y a des institutions judiciaires. Et là-bas, est-ce que la justice est mieux rendue qu’ici ?

— Je n’en sais rien. J’ai entendu dire beaucoup de bien de nos tribunaux. Chez nous, par exemple, la peine de mort n’existe pas.

— Et elle existe à l’étranger ?

— Oui. J’ai vu une exécution en France, à Lyon, où j’étais allé avec Schneider.

— On pend ?

— Non, en France on coupe la tête.

— Eh bien, il crie ?

— Allons donc ! cela se fait en un instant. On couche l’homme sur une planche et le couteau tombe, un large couteau mis en mouvement par une machine appelée guillotine… La tête est tranchée si vite qu’on n’a pas même le temps de cligner l’œil. Les préparatifs sont pénibles. Ce qui est affreux, c’est quand on signifie l’arrêt au condamné, quand on lui fait sa toilette, quand on le garrotte, quand on le conduit à l’échafaud. La foule va voir cela et dans le public se trouvent même des femmes, quoique l’opinion désapprouve chez elles cette curiosité.

— Ce n’est pas leur affaire.

— Sans doute ! sans doute ! assister à un pareil supplice !… Le coupable, un certain Legros, était un homme intelligent,