Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/46

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certain ; le pire, c’est cette certitude. Le plus horrible, ce sont ces trois ou quatre secondes durant lesquelles, la tête dans la lunette, vous entendez au-dessus de vous glisser le couperet. Savez-vous que ce n’est point là une fantaisie de mon imagination personnelle et que beaucoup ont tenu le même langage ? Je suis tellement convaincu de cela que je vous dirai carrément ma façon de penser. Il n’y a aucune proportion entre la peine de mort et le meurtre qu’elle prétend punir : l’une est infiniment plus atroce que l’autre. L’homme que des brigands assassinent, celui qu’on égorge la nuit, dans un bois, n’importe comment, espère jusqu’à la dernière minute conserver la vie. On a vu des gens qui, le couteau dans la gorge, espéraient encore, fuyaient, suppliaient. Mais ici ce dernier reste d’espoir qui rend la mort dix fois plus douce, on vous le supprime radicalement ; ici il y a une sentence, et la certitude que vous n’y échapperez pas constitue à elle seule un supplice tel qu’il n’en est pas de plus affreux au monde. Placez un soldat devant la bouche d’un canon dans une bataille, et tirez sur lui, il espèrera encore, mais lisez à ce même soldat son arrêt de mort, il deviendra fou ou se mettra à pleurer. Qui a dit que la nature humaine pouvait supporter cela sans s’abîmer dans la folie ? Pourquoi cette inutile cruauté ? Il existe peut-être un homme à qui on a donné lecture d’une condamnation capitale et qu’on a laissé un moment en proie à la terreur, pour lui dire ensuite : « Va-t’en, tu es gracié ». Eh bien, cet homme-là pourrait raconter ses impressions. Le Christ lui-même a parlé de cet épouvantable supplice. Non, il n’est pas permis d’en user ainsi avec un être humain !

Le valet de chambre n’aurait pu exprimer ses sentiments comme le faisait le prince, mais l’émotion qu’il éprouvait se manifestait sur son visage.

— Si vous désirez tant fumer, dit-il, — eh bien, vous le pouvez, mais dépêchez-vous, afin d’être ici quand on vous demandera. Tenez, vous voyez cette porte, sous le petit escalier. Entrez là, il y a à droite une petite pièce où vous