Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/51

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Tantôt, quand j’attendais là dans l’antichambre, votre domestique croyait avoir affaire à un pauvre venu chez vous pour solliciter une aumône ; je me suis aperçu de cela, et il est probable que vos gens ont reçu à cet égard des instructions rigoureuses. Mais, je vous l’assure, on s’est mépris sur l’objet de ma visite ; mon seul but, en me rendant ici, était d’entrer en rapport avec vous. Malheureusement, je crains de vous avoir dérangé.

— Voici ce que je vous dirai, prince, reprit le général avec un gai sourire : — Si vous êtes réellement ce que vous paraissez être, il me sera agréable de cultiver votre connaissance ; seulement, voyez-vous, je suis un homme occupé : à présent j’ai encore à lire et à signer quelques papiers, ensuite j’irai chez Son Altesse et de là au service. Dans ces conditions, malgré tout le plaisir que j’éprouve à me trouver avec les gens… comme il faut, bien entendu, cependant… Du reste, je suis si convaincu de votre excellente éducation que… Mais quel âge avez-vous, prince ?

— Vingt-six ans.

— Ouf ! Je vous croyais beaucoup plus jeune.

— Oui, on dit que je ne parais pas mon âge. Mais j’apprendrai à ne pas vous déranger, et cela me sera facile parce que moi-même je n’aime pas à gêner les autres… Et puis, enfin, je ne vois pas trop ce qui pourrait nous rapprocher, car, à en juger d’après les apparences, il ne doit pas y avoir beaucoup de points communs entre nous. À la vérité, bien souvent il semble qu’il n’y ait pas de points communs et il y en a beaucoup. La paresse humaine est cause qu’on ne les remarque pas… Mais, du reste, je commence peut-être à vous ennuyer ? On dirait que vous…

— Deux mots : vous possédez quelque fortune, ou, peut-être, vous songez à vous occuper d’une façon quelconque ? Excusez-moi de vous parler avec tant de…

— Laissez donc ! Votre question est toute naturelle et je me l’explique très-bien ; je n’ai pour le moment aucune fortune ; je n’ai pas non plus d’occupation et il m’en