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Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/65

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vous prie de vouloir bien vous rendre auprès de Son Excellence Élisabeth Prokofievna.

Le prince suivit le laquais.

IV

Les demoiselles Épantchine étaient toutes trois d’une constitution robuste et jouissaient d’une santé superbe ; elles avaient des épaules étonnamment développées, une poitrine puissante et des biceps presque masculins. À cette vigoureuse organisation correspondait, comme de juste, un estomac exigeant, et parfois leur mère, Élisabeth Prokofievna, faisait la mine en les voyant manger avec un appétit aussi féroce que dénué de vergogne. Mais comme, malgré le respect extérieur que lui témoignaient ses filles, celles-ci avaient depuis longtemps perdu l’habitude de s’incliner devant ses idées, la générale, dans l’intérêt de sa dignité personnelle, croyait devoir s’abstenir de toute observation. Très-souvent, à la vérité, le caractère refusait de se soumettre aux décisions de la sagesse ; d’année en année Élisabeth Prokofievna devenait plus capricieuse, plus impatiente, disons même plus fantasque. Par bonheur, elle avait sous la main un mari très-endurant sur qui, d’ordinaire, elle passait sa mauvaise humeur ; ensuite l’harmonie renaissait dans le ménage et tout marchait le mieux du monde.

Au reste, la générale elle-même ne manquait pas d’appétit ; à midi et demi elle avait coutume de s’attabler avec ses filles devant un plantureux déjeuner qui pouvait presque compter pour un dîner. Auparavant les demoiselles avaient déjà pris une tasse de café que, suivant un usage établi par elles une fois pour toutes, on allait leur porter dans leur lit à dix heures précises, au moment où elles s’éveillaient. À midi et demi le couvert était mis dans une petite salle à manger