Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/91

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fâche. Tantôt, avant votre arrivée, je m’étais mise en colère, je faisais semblant de ne rien comprendre et de ne pouvoir pas comprendre. Cela m’arrive ; je suis comme une enfant. Aglaé m’a donné une leçon ; je te remercie, Aglaé. Du reste, tout cela ne signifie rien. Je ne suis pas encore aussi bête que j’en ai l’air et que mes filles voudraient le faire croire. J’ai du caractère et je ne suis pas trop honteuse. Du reste, je dis cela sans amertume. Viens ici, Aglaé, embrasse-moi. Allons… assez de mignardises, dit-elle ensuite à sa fille, qui lui baisait tendrement les lèvres et la main. — Continuez, prince ; peut-être vous rappellerez-vous quelque chose de plus intéressant encore que l’âne.

— Encore une fois, observa de nouveau Adélaïde, — je ne comprends pas qu’on puisse raconter, quand on est si brusquement sommé de le faire. Moi je resterais interloquée.

— Mais le prince ne restera pas interloqué, parce que le prince est extrêmement intelligent, au moins dix fois plus intelligent que toi, et peut-être même douze. J’espère que tu le sentiras après cela. Prouvez-le-leur, prince ; continuez. Au fait, on peut maintenant laisser l’âne de côté. Eh bien, qu’est-ce que vous avez vu à l’étranger, indépendamment de l’âne ?

— Mais ce que le prince a dit de l’âne était déjà intelligent, remarqua Alexandra : — il a décrit d’une façon fort intéressante son état maladif et le rassérénement qui s’est produit en lui à la suite d’un choc extérieur. J’ai toujours été curieuse de savoir comment les gens perdent la raison, puis la recouvrent. Surtout quand cela a lieu tout d’un coup.

— N’est-ce pas ? n’est-ce pas ? fit vivement la générale ; — je vois que toi aussi, tu es parfois intelligente ; allons, qu’on en finisse avec les rires ! Vous en étiez resté, je crois, prince, à la nature suisse ; eh bien ?

Le prince poursuivit son récit :

— Nous arrivâmes à Lucerne, et on me fit faire une promenade sur le lac. J’en admirai la beauté, mais en même temps j’avais un poids sur le cœur.

— Pourquoi ? demanda Alexandra.