Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/141

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— La position est ridicule, mais… vraiment, je ne sais que vous conseiller, fit en souriant Eugène Pavlovitch.

Sans répondre, Hippolyte regarda Radomsky sévèrement et avec une fixité singulière. On pouvait croire que par moments il perdait toute conscience de lui-même.

— Non, permettez, dit Lébédeff, — quelles manières il fait avec cela ! « Je me brûlerai la cervelle dans le parc, déclare-t-il, pour ne pas causer d’esclandre dans la villa » ! Il pense donc qu’en allant se tuer à trois pas de la maison il n’incommodera personne ici !

— Messieurs… commença le prince.

— Non, permettez, très-estimé prince, interrompit avec emportement Lébédeff ; — vous voyez vous-même que ce n’est pas une plaisanterie, la moitié au moins de vos visiteurs est du même avis et pense que maintenant, après les paroles qu’il a prononcées ici, l’honneur l’oblige à se brûler la cervelle : par conséquent, comme maître de la maison, je déclare devant témoins que je requiers votre assistance.

— Que faut-il donc faire, Lébédeff ? Je suis prêt à vous seconder.

— Voici : d’abord, qu’il se dessaisisse immédiatement du pistolet et des munitions dont il a parlé tout à l’heure. Moyennant cette condition et par égard pour son état maladif, je consens à ce qu’il passe la nuit ici, où, bien entendu, il sera l’objet d’une surveillance de ma part. Mais demain il faudra absolument qu’il décampe ; pardonnez-moi, prince ! S’il refuse de livrer son arme, le général et moi nous le prenons chacun par un bras et j’envoie aussitôt prévenir la police qui, dès lors, aura à s’occuper de l’affaire. À titre de connaissance, monsieur Ferdychtchenko voudra bien se rendre au commissariat.

Ce fut un vacarme sur la terrasse ; Lébédeff s’échauffait et perdait toute mesure ; Ferdychtchenko se disposait à aller au bureau de police ; Gania s’acharnait à soutenir que personne ne se tuerait. Eugène Pavlovitch gardait le silence.